REPORTAGE. -- L'autopartage, vous connaissez ? Il permet l'utilisation à coût réduit d'une seule voiture, pour de courts trajets, par tous les adhérents d'une association. Exemple avec Autocomm à Bordeaux
Ta voiture est aussi la mienne
: Jacky Sanudo |
La question qui le taraudait ne concernait pas la marque de sa future voiture mais comment se débarrasser de la sienne. Sa petite Citroën Saxo lui revenait, bon an mal an, entre 4 500 et 5 500 euros. Habitant le centre de Bordeaux, près de son emploi, il n'échappait pas aux contredanses, aux frais d'assurance, de parking, de garage et de crédit avec tous les soucis qui vont avec. Aujourd'hui, Patrick Presse roule encore mais de façon réfléchie, et avoue ne débourser que 1 500 euros l'an pour ce luxe citadin.
Après avoir fait le tour de la question, il a opté pour l'autopartage. Rien à voir avec le covoiturage. Le système a été créé à Bordeaux en 2001 par l'association Autocomm. Celle-ci propose à ses adhérents d'utiliser les huit voitures actuellement en sa possession, stationnées en divers parkings situés en des endroits stratégiques de la ville (NDLR : gare, Mériadeck, Victor-Hugo et Quinconces). Pour la pratique, vraiment peaufinée depuis un an, les conducteurs occasionnels possèdent un badge qui leur permet de rentrer dans la voiture, de prendre les clés et la carte de parking dans la boîte à gants et... roule ! A la fin du trajet, une carte à puce, une balise GPS et un lecteur optique dans chaque véhicule signifient à la centrale le nombre de kilomètres parcourus et le temps passé au volant pour établir la tarification. Les réservations se font par Internet ou par téléphone (1).
Ni charrette ni 4 4. « Moi qui n'utilise la voiture qu'une ou deux fois par mois, je m'y retrouve financièrement. Mais c'est également très pratique. Quand je vais chercher mon fils à l'aéroport, je prends une petite citadine, et si je veux aller à la plage avec des amis, je réserve un monospace sept places. Dans mon esprit, la plus-value écologique est venue plus tard, mais je suis conscient que pour qu'elle soit significative il faudrait que nous soyons 2 000 adhérents », explique Patrick Presse. Pour l'instant, l'association en compte une soixantaine, dont un tiers de femmes. Parmi les historiques se trouvent des militants opposés au tout-voiture mais aussi des « hyperurbains » qui habitent et travaillent en ville, des urbains pour qui la deuxième voiture serait un luxe, de jeunes retraités qui ont changé de rythme de vie et des familles nombreuses à la logique purement économique.
« Sans revenir à la charrette ou faire l'apologie du 4 4, notre philosophie est de rentrer et faire rentrer du monde dans l'utilisation raisonnée de la voiture. Chez nous, l'automobile est un objet pratique, nullement affectif ou social. Chaque fois que nous utilisons un véhicule, nous payons et prenons donc conscience du prix du déplacement », dit Nicolas Guenro, chargé de la communication et seul salarié de l'association à but lucratif. Lui préfère la définir comme une « activité en décroissance », « à faible marge », voire « masochiste », et s'en explique en une phrase : « Tout, dans notre initiative, incite à une baisse de la consommation. »
Objectif : 1 000 adhérents. Pour que cela marche, une seule solution : un nombre important d'adhérents. Dans une ville comme Bordeaux, on estime le seuil de viabilité à un millier. Autocomm y croit en lorgnant du côté de l'Allemagne et de la Suisse, pays qui comptent 80 000 « autopartageurs » chacun. Le Québec est lui aussi source de motivation puisqu'il a été calculé que la province canadienne avait un potentiel de 8 % des ménages pour la voiture partagée. En France, ils ne sont pour l'instant que 4 à 5 000 à avoir adopté ce mode de déplacement. On les trouve dans des villes qui possèdent, et c'est une condition, un réseau de transports efficace. Outre Bordeaux, l'autopartage a séduit Grenoble, Lyon, Marseille, Montpellier, Rennes, Strasbourg, Lille et Paris. Dans la capitale on estime que les 200 voitures partagées, ce sont 1 600 véhicules en moins sur la chaussée, soit une automobile pour huit. Dix adhérents permettent d'éviter l'émission de 12 tonnes de gaz à effet de serre par an.
Ces données, dans le créneau très porteur de la mobilité durable, ont conduit les autorités territoriales à s'intéresser à l'autopartage. « Nous espérons devenir une société coopérative d'intérêt collectif (SCIC) dans laquelle usagers, collectivités et partenaires privés seraient parties prenantes. Pour que l'activité ne capote pas, on a calculé qu'il faudrait 350 000 euros sur quatre ans », estime Nicolas Guenro. La mairie de Bordeaux est sur le point de s'engager auprès d'Autocomm, la Communauté urbaine vient de voter le 28 octobre une délibération d'accompagnement financier, le Département, via Agenda 21, a également une délibération en cours et la Région et l'Ademe (Agence régionale de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) ont passé une convention avec l'association pour un montant de 45 000 euros.
Mobilités alternatives. Reste maintenant à communiquer avec moins de timidité ou de prudence pour implanter l'autopartage dans Bordeaux, une des villes les plus motorisées de France. Il sera ensuite temps de revoir un parc automobile pas très écolo (utilisation de voitures électriques ?), d'obtenir des emplacements spécifiques sur voirie et d'étendre l'offre aux professionnels. Autant de projets qui mûrissent à Autocomm, lancés avec une seule voiture dont les clefs s'échangeaient de la main à la main. Aujourd'hui, l'association a pris adresse au numéro 16 de la rue Ausone, à Bordeaux, aux côtés de VéloCité et d'AIR Roller, dans ce qui devrait devenir le premier pôle urbain des mobilités alternatives.
(1) Tél. 05 56 31 10 66 ou www.auto comm.org. Exemple de tarif : pour une journée et 100 kilomètres parcourus, l'autopartage revient à 48 euros tout compris.