SOLIDARITÉ. Les centres d'action sociale sont de plus en plus sollicités par des travailleurs précarisés
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L'aide alimentaire d'abord
«Le premier élément déclencheur de la demande est la modification des conditions d'emploi de la personne. » Ce constat dressé par l'enquête de l'Unccas (Union nationale des centres d'action sociale) consacrée à l'impact de la crise sur les Ccas, est relayé par tous les responsables administratifs et politiques. Lesquels soulignent qu'ils voient désormais « un nouveau public pousser les portes du Ccas ».
Catherine Gilardeau, responsable de la MDSI (Maison départementale de la solidarité et de l'intégration) du Grand Parc à Bordeaux, aligne des chiffres éloquents. « En 2007, nous avons reçu 14 600 appels téléphoniques et accueilli physiquement 9 720 personnes, lesquelles étaient 13 795 l'année suivante, tandis que les appels téléphoniques étaient passés à 23 390. »
Les travailleurs pauvres
Et dans les véritables files d'attente qui se constituent à l'intérieur du bâtiment, on n'aperçoit plus seulement des bénéficiaires des minima sociaux, mais aussi de plus en plus de petits artisans, des gens qui ont un emploi précaire, des personnes âgées.
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Sophie Borderie, adjointe aux affaires sociales de Marmande, dans le Lot-et-Garonne, le confirme. « Nous voyons arriver au Ccas une nouvelle catégorie de personnes, ceux que l'on appelle les travailleurs pauvres. Des gens qui ne peuvent pas pousser la porte des associations caritatives, parce qu'il y a souvent des questions de seuils qu'ils dépassent. » L'Unccas a analysé les réponses pour fournir en pourcentages les « profils » des personnes qui s'adressent désormais aux Ccas : des personnes jusque-là inconnues des services (18,85 %), des personnes en situation d'emploi (18,80 %), des personnes au chômage (17,7 %), des bénéficiaires des minima sociaux (16,8 %), des jeunes de 18-25 ans (12,9 %), des retraités (12,7 %).
Réalisée par « La Gazette Santé Social », en mai et juin derniers auprès des 3 700 adhérents de l'Unccas, l'enquête souligne « l'augmentation sensible des demandes d'aides adressées aux Ccas depuis le début de la crise ». De l'ordre de 10 à 20 % en général, elle peut dépasser 40 % dans certains cas, voire exploser à 90 %.
« Les besoins de première nécessité concentrent l'essentiel des demandes », commente la direction de l'Unccas : 36 % des sollicitations portent sur des aides alimentaires et 30 % sur des aides financières. L'Unccas note que parmi les difficultés quotidiennes qu'ils doivent aider à résoudre, « figurent majoritairement les difficultés de paiement des factures d'énergie (44 %) et les loyers (36 %) ».
Les associations caritatives font le même constat. François Soulage, président national du Secours catholique, expliquait ainsi dans nos colonnes (1) l'organisation de la collecte exceptionnelle des 19 et 20 septembre : « De plus en plus de gens sont confrontés à des fins de mois impossibles à boucler. On nous appelle pour fournir les 80 euros manquants pour régler la facture d'électricité. » La responsable de circonscription bordelaise, Catherine Gilardeau, ajoute que viennent aussi de plus en plus à la MDSI des personnes en situation irrégulière, atteintes de maladies. « D'ailleurs, note-t-elle, la crise augmente aussi les difficultés de santé et les souffrances psychiques. D'où la confrontation avec de plus en plus de gens agressifs. »
Des choix politiques
Le directeur du CHRS (Centre d'hébergement et de réinsertion sociale) Saint-Vincent-de-Paul de Marmande constate de son côté que sa structure « fonctionne à plein. Il n'y a plus de creux ». Éric Van de Zande Luca estime que pour les Ccas, l'augmentation des demandes n'en est qu'à son début. « Quand les personnes en difficulté auront épuisé tous leurs réseaux et les aides légales, elles se tourneront vers les centres. »
La question urgente restant de savoir s'ils pourront tous faire face. L'enquête de l'Unccas répond partiellement à la question. « Dans la majeure partie des cas, révèle-t-elle, l'émergence d e nouvelles demandes n'a pas modifié les modalités d'attribution des aides du Ccas. » Ce que corrobore Sophie Borderie : « Il va falloir faire des choix politiques, réorienter les budgets. » Les Ccas vont ainsi se trouver confrontés à un dilemme : diminuer le montant des aides pour les distribuer au plus grand nombre ou privilégier la quantité pour un plus petit nombre.
D'après l'enquête de l'Unccas, 107 centres ont modifié leur barême en prenant davantage en considération le reste à vivre et le quotient familial, 45 ont augmenté la part de leurs aides financières et alimentaires. 274 en revanche ont fait le choix de diminuer le montant de leurs aides.
Pour Pierre Concialdi, chercheur à l'Ires (Institut de recherches économiques et sociales), la précarité va continuer à gagner du terrain. « Ce sont les forces économiques qui objectivement rendent les conditions de vie de plus en plus difficiles. Or les pouvoirs publics n'ont pas contrecarré cette évolution, bien au contraire. » Et de citer l'exemple du RSA qui, selon lui, va conduire à une multiplication des petits boulots et à « une mise en concurrence des travailleurs précaires entre eux ».
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