L'AUTOROUTE DANS LE JARDIN. Devant les fenêtres de Jean-Claude Labarthe, un merlon de 8 mètres de haut
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Jean-Claude Labarthe, dans un salon décoré d'innombrables souvenirs : « J'étais communicatif, avant. Jovial, heureux. »(photos pascal bats)
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Un tas de terre de 8 mètres de haut. Voilà l'horizon boueux auquel l'A 65 condamne Jean-Claude Labarthe et sa maison familiale de Pujo-le-Plan, une landaise à colombages et tomettes rouges construite en 1870, au fond d'un cul-de-sac de verdure.
Meublée avec amour. Des bougies de Lourdes, des chapelets en bois de rose, des dentelles blanches, des commodes patinées par le temps...
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« C'était le paradis ici », souffle-t-il. Avant. Avant, ses fenêtres donnaient sur la nature à perte de vue, les ânes et les vaches du voisin (lire ci dessous). « L'été, je dormais fenêtres et portes ouvertes. J'ai toujours laissé la clé sur la voiture. Et j'allais chercher l'eau à la fontaine, à 50 mètres, avec la cruche. J'ai connu ça, ici : je suis né dans cette maison, en 1952 ». Le matin, Jean-Claude Labarthe n'avait pas besoin de réveil : le coassement des grenouilles chassait sa nuit. « Dès la première nuit des travaux, je ne les ai plus entendues. Ça m'a fait mal... » Le début du cauchemar.
(photos pascal bats) |
Aujourd'hui, Jean-Claude Labarthe vit seul avec sa solitude, les calendriers d'antan, les cadres dorés pleins de photos d'un bonheur ancien... « Il y avait de la vie ici, des rires d'enfants, les parties de belote, les omelettes, Noël. On a vécu de belles choses. » Sa seule consolation ? Que son père soit mort juste avant l'arrivée des pelles mécaniques. « Au moins, il n'a pas vu la destruction de tout son patrimoine... »
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Sa compagne est partie. « Elle n'en pouvait plus. Je ne dormais plus la nuit : les engins font bip-bip, klaxonnent... L'été, ils font vibrer la maison jusqu'à 23 heures et reprennent à 6 heures. » Un matin, la maison tremble tellement que les murs se fissurent, les tuiles glissent du toit...
(photos pascal bats) |
« À 6 h 45, je suis sorti en pyjama, comme un fou, supplier le conducteur de la compacteuse d'arrêter sa machine. » Jean-Claude négocie avec le chef : plus de compactage à moins de 300 mètres de sa ferme ancienne, sans fondation, qui menace de s'effondrer. « Mais je n'ose plus partir en vacances, je surveille... Regardez : trois fois, ils m'ont pété la ligne téléphonique, volontairement, pour faire passer les bulldozers. Et quand ils épandent la chaux, on ne peut plus étendre le linge, ni manger dehors... »
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Jean-Claude Labarthe est un homme brisé. Un homme qui ne cache plus ses larmes salées. Un homme mis à nu, touchant jusqu'à la chair de poule, qui raconte sa descente aux enfers. Son mois en maison de repos, les séances chez le psychologue à essayer « d'accepter » l'inacceptable. Accepter de vivre, coincé derrière un tas de boue. D'être privé de ses grenouilles, de ses arbres, de sa vue. De sa vie. De son passé. De « sa retraite paisible ».
Accepter l'absurdité du destin. Pendant 20 ans, Jean-Claude Labarthe s'est accroché à son rêve. Soumis à des affectations parisiennes, il s'est battu pour revenir vivre dans sa carte postale, au pays de cette enfance, saine mais dure, comme l'était la campagne autrefois. En 1985, il gagne son combat, revient enfin à Pujo-le-Plan, dans la maison parentale. Le bonheur retrouvé.
(photos pascal bats) |
Et qui se fracasse contre l'autoroute. « J'ai essayé de négocier, d'être exproprié. Pour reconstruire ailleurs. Mais je n'ai pas su, je n'ai pas pu. Je ne suis pas fait pour batailler. Alors que c'était si tranquille, on ne demandait rien à personne. »
Pas un sou pour compenser la carte postale déchirée. Pas une seule indemnisation. « Ils disent qu'on s'habitue au bruit », explique-t-il en haussant les épaules, invitant à écouter le silence absolu, les oiseaux dans le ciel. « Ça n'a pas de prix ça... » « Et puis la vue ? Je ne verrai plus ce que j'ai connu... J'ai écrit à Olivier de Guinaumont pour lui demander de réduire la hauteur du merlon. Il m'a répondu que c'étaient les normes européennes. » |
Jean-Claude Labarthe entend l'Europe, comprend aussi le progrès, se dit que les Landes, longtemps épargnées, n'avaient peut-être plus le choix. Relit la bible, pour « trouver le courage d'accepter ce que l'on ne peut changer ». Mais, qui donc écoute sa souffrance à lui, entend ses pleurs, terribles, d'homme à terre ?
« Je crois que je vais partir... Une fois que le merlon sera arboré, quelqu'un qui n'a connu que ça pourra être heureux ici. » Lui, non.
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