La parole de Vinci et de son patron, Xavier Huillard, porte forcément loin. Les 4 300 kilomètres d'autoroute que gèrent ses filiales ASF (Autoroutes du sud de la France), Escota et Cofiroute constituent le premier réseau français. Devant celui de son rival dans le BTP, Eiffage (Autoroutes Paris Rhin Rhône, Area, A'lienor), et celui du groupe espagnol Abertis (principalement la Sanef).
Déjà + 2,24 % en février
À l'Asfa, l'Association des sociétés françaises d'autoroute, on s'empresse de préciser que les concessionnaires n'ont rien réclamé formellement au gouvernement. La révision des tarifs est encadrée par chacun des contrats de concession. Elle intègre 70 % du chiffre de l'inflation (ou 85 % si la société concessionnaire a signé un contrat de plan avec l'État). Elle peut être agrémentée d'un coup de pouce si le concessionnaire programme des investissements lourds, comme un élargissement à 2 × 3 voies par exemple.
Le concessionnaire transmet pour ce faire un dossier à la Direction des infrastructures de transport, un service qui dépend du ministère de l'Écologie. En dernier ressort, c'est l'État qui statue. L'Asfa évalue à 2 milliards d'euros les investissements annuels sur le réseau national.
Voilà pour la théorie. En pratique, « les sociétés d'autoroutes demandent constamment des hausses. Et l'État les leur accorde généreusement », déplore Daniel Dechaux, le président de la commission infrastructures et mobilité au sein de l'association 40 millions d'automobilistes. Au 1er février 2011, la hausse moyenne était de 2,24 %. En février 2010, l'augmentation était plus modestement fixée à 0,5 %.
Jamais rassasiés
Cette fois-ci, la bataille risque de prendre une autre ampleur. « Ces réclamations seraient audibles si elles n'étaient pas indécentes. Les sociétés d'autoroute réalisent de formidables gains de productivité. L'automatisation des péages se traduit par une réduction substantielle de la masse salariale, et donc des coûts, qui ne profite en rien aux usagers. Les profits des concessionnaires explosent car le réseau français est aujourd'hui mature, il ne nécessite pas d'investissements colossaux. Dans le climat actuel de difficultés que connaissent les Français, on ne peut pas accepter ces demandes intempestives », explique Daniel Dechaux.
Les ASF sont un cas d'école. À un an d'intervalle, l'effectif de la société a considérablement décru. Elle compte 4 872 salariés si l'on en croit son site Internet. L'an passé, le même site faisait état de « plus de 5 200 » collaborateurs.
Dans son courroux, 40 millions d'automobilistes distingue Abertis, jugé raisonnable, de Vinci et Eiffage, jamais rassasiés. Dans le secteur autoroutier, la crise semble pourtant se conjuguer au passé. La santé de Vinci est insolente au regard de la conjoncture d'ensemble. Ses filiales ont elles aussi bonne mine. « Le résultat net du premier semestre 2011 s'établit à 422,8 millions d'euros, en hausse de 13 % par rapport à la même période de 2010 », peut-on lire dans le rapport d'activité des ASF, daté du 30 juin.
Chez APRR (Autoroutes Paris Rhin Rhône), ça ne va pas trop mal non plus. Sur le même semestre, le résultat net est à 177 millions d'euros, avec une évolution à la hausse certes plus modérée : + 1,6 %.
Du côté de l'Asfa, on aimerait que le grand public ne s'en tienne pas à cette vitrine opulente. « Il faut rappeler que les autoroutes sont la propriété de l'État. Les sociétés les gèrent dans le cadre de contrats à durée déterminée qui s'arrêteront en 2032 pour les plus anciens. Le modèle économique des concessions intègre ce long terme. Le jour venu, il faudra rendre à l'État des autoroutes modernes et bien entretenues avec des comptes à l'équilibre et un endettement nul. Or aujourd'hui, 29 milliards d'euros de dettes pèsent sur le réseau français. En face, il n'y a que les recettes de péage pour les apurer », justifie la communication de l'Asfa.
La dette d'A'lienor
L'exemple de l'A 65 entre Langon et Pau est assez parlant. A'lienor, filiale d'Eiffage et de la Sanef, a contracté une dette bancaire de 930 millions d'euros pour construire l'ouvrage. La durée de la concession, soixante ans, devrait lui permettre de rembourser ses créanciers et de se rémunérer. Ses recettes au péage aussi, puisque ses tarifs au kilomètre en font l'une des autoroutes les plus chères de France. Mais sur ce barreau secondaire, les faibles prévisions de trafic ne lui laissent guère de marge de manœuvre.
Ce n'est pas vrai du réseau autoroutier dans son ensemble, qui est largement amorti. « Non seulement nous refusons de nouvelles hausses, mais nous demandons une modification du mécanisme tarifaire, de manière à décrocher la révision annuelle de l'inflation. Les hausses de tarif sont censées répercuter les hausses de charges des concessionnaires. Or elles baissent ! Je sais que derrière les sociétés autoroutières, il y a toute la puissance des groupes du BTP qui s'exerce face à l'État. Mais nous représentons de notre côté la majorité des usagers. Attendons de voir quel son de cloche le gouvernement voudra entendre », glisse Daniel Dechaux.
Si elle devait intervenir le 1er février prochain, à moins de trois mois du premier tour de l'élection présidentielle, on parierait bien sur une hausse des plus modérées cette fois-ci…