D'un prompt coup de hachette, Thierry Carbonnière entame le tronc d'un pin quadragénaire, l'un des rares à avoir conservé sa couleur verte. Puis, d'une main, arrache un pan d'écorce qui n'offre guère de résistance. « Cet arbre est mort, mais il ne le sait pas encore », lâche-t-il. Le doigt pointé sur la partie lisse de l'arbre, il désigne deux petits insectes affolés. « Là, vous voyez… »
L'odeur du bois frais
De couleur noire, leur taille ne dépasse pas le centimètre. Ce sont des scolytes. Les forestiers les désignent également sous le nom de « ips » (1), raccourci de leur patronyme latin Ips sexdentatus. Rien de sexuel là-dedans. Tout simplement, la bestiole, caparaçonnée comme un char d'assaut, est équipée de six dents à l'arrière. Mais c'est bien avec ses mandibules qu'elle perfore l'écorce. Voilà le coupable…
L'Ips sexdentatus est aussi appelé « sténographe ». Mais, quelle que soit la dénomination qu'on lui donne, il sème la panique à travers la forêt des Landes de Gascogne. 6, 8, voire 10 millions de mètres cubes : le taux de dégâts potentiels qu'on lui prête atteint, ces temps-ci, des sommets vertigineux.
Thierry Carbonnière, technicien du Centre régional de la propriété forestière à Mont-de-Marsan, entre deux visites de terrain, s'emploie à calmer les angoisses des propriétaires. La réalité reste difficile à établir. Lors de réunions récentes, entre professionnels et représentants de l'administration, le chiffre de 1,5 million de mètres cubes de dégâts déjà avérés a été avancé. Il devrait évoluer durant l'été, voire pendant plusieurs années : après la tempête de 1999, les scolytes avaient sévi jusqu'en 2004 (lire ci-après).
« L'odeur du bois frais les attire », explique le technicien. « Le scolyte se nourrit de la couche tendre située sous l'écorce. En temps normal, l'arbre se défend par des écoulements de résine qui gênent la progression de l'insecte. Mais quand l'arbre est déjà affaibli et que les attaques sont trop fortes, alors il ne peut plus résister. Les scolytes le pénètrent, le colonisent, et il meurt. »
Or, depuis plusieurs semaines, « il n'est pas rare de voir un même arbre attaqué par des centaines - et même des milliers - d'individus ». Impressionnant. Circonstance aggravante, les scolytes ouvrent la voie à d'autres parasites, tels que le champignon bleu du pin maritime. Ce « bleu » conduit au déclassement du bois, qui finira en palettes alors qu'il aurait pu prétendre à un meilleur destin. Pour le propriétaire, cela signifie une perte de valeur supplémentaire, dans un contexte où le bois d'œuvre se vend déjà à très bas prix.
Pullulation
La pullulation en cours est enclenchée en fait depuis septembre dernier. C'est le moment, raconte Thierry Carbonnière, où les scolytes, ayant épuisé la nourriture au sol, ont commencé à attaquer les arbres sur pied. L'offensive, stoppée net par l'hiver (3), a repris de plus belle au printemps. « Dès que la température dépasse les 15 degrés, ils se reproduisent. Et plus les conditions météo deviennent favorables, plus le mouvement s'amplifie. Au printemps, il fallait six semaines pour créer une génération ; aujourd'hui, c'est moins de quatre semaines. »
Le technicien ne peut se défendre d'une certaine fascination pour l'insecte et son organisation sociale. Il l'exprime de façon imagée mais explicite : « Quand des scolytes attaquent un arbre, ils émettent des phéromones (4) pour inviter les copains ! Mais quand l'arbre est plein, ils émettent d'autres phéromones pour le leur dire. Alors les copains s'en vont sur l'arbre d'à côté ! » En volant de leurs petites ailes, qui offrent la particularité d'être « repliables ».
Nouveau coup de hachette. Le visage de Thierry Carbonnière s'illumine. D'autres insectes apparaissent. Ce sont des staphylins. Enfin ! « Quand vous commencez à en voir, c'est bon signe. Ils s'installent dans les galeries de ponte du scolyte et détruisent ses larves. Regardez comme ils galopent de partout, c'est tout bon, ça ! »
Solution radicale
Pour lui, il ne fait pas de doute que la présence du staphylin, entre autres parasitoïdes, marque le début de la fin de la pullulation du scolyte. « Les attaques sont loin d'être terminées, mais elles vont petit à petit régresser sous la pression », rassure-t-il.
Cet auxiliaire naturel est bien précieux, car il n'existe aucun traitement chimique homologué pour éradiquer le scolyte installé dans les arbres sur pied. Contrairement aux piles de bois au sol, sur lesquelles l'application d'un insecticide est autorisée. La solution a beaucoup de mal à passer car, admet Thierry Carbonnière, elle est radicale. « Aux propriétaires, nous disons : si vous êtes touché, vous rasez la parcelle ! » Parce que « couper arbre par arbre, c'est pire que tout. Cela ne ferait qu'attirer encore plus de scolytes, très sensibles à l'odeur du bois frais. » Impitoyable.
(1) Prononcer « ipse ». (2) Durant la période hivernale, l'insecte se met en diapause : son activité et sa croissance s'arrêtent. (3) Message chimique.