Pour découvrir la fabrication de cet alcool précieux et apprendre à le déguster comme il se doit, Pierre Laberdolive, l'actuel propriétaire et récoltant, et Christophe Andiné, le gérant de la Cave du sommelier à Mont-de-Marsan, ont réuni leurs connaissances et leur sensibilité.
Comme Pierre Laberdolive aime le rappeler, il n'y a pas de recette type à la confection d'un bon armagnac : « Rien n'est écrit, chacun le fait à sa façon et c'est cette diversité qui fait le bonheur du produit », mais des ingrédients indispensables. Du raisin blanc neutre, un alambic, du bois de chêne et… « du temps ».
La part des anges
Le vignoble de 45 hectares de Pierre Laberdolive repose sur des sols de « sable fauve », de couleur ocre, qui rappellent le pelage des félins d'Afrique. Elles donnent une eau-de-vie fruitée, fine et complexe en arômes. Sur ces terres, le producteur récolte les grappes de quatre cépages différents : l'ugni-blanc, réputé pour son acidité, la folle blanche, le colombard et le baco, obtenu par croisement de la folle blanche et du noah américain.
Au domaine de Jaurrey, les vendanges ont lieu vers mi-septembre. Pour Pierre Laberdolive, « il vaut mieux vendanger vert que trop mûr. La verdeur fait partie des atouts d'un bon armagnac. » La vinification est naturelle. Aucun élément n'est ajouté ou retiré pour participer à la fermentation. Du 15 novembre au 15 décembre, Pierre Laberdolive procède à la distillation : « Il est préférable de distiller tôt. Les vins s'exposent àl'acidité volatile si on attend trop longtemps », précise-t-il. Alors, l'alambic armagnacais entre en jeu. Le sien est exclusivement chauffé au bois. À feu continu, il fonctionne jour et nuit.
Une fois distillé, le liquide vieillit en pièces (barriques de 420 litres, spécifiques à l'armagnac) de chêne, neuves, pendant trois ans. « C'est la barrique et le tanin du chêne qui donnent à l'armagnac cette couleur ambrée et ce goût du bois », explique Pierre Laberdolive. « Durant le vieillissement, le breuvage perd en volume et en puissance d'alcool. On distille à 52/53 degrés (% d'alcool), avec les années, le degré baisse à 47,48. C'est ce qu'on appelle la part des anges », poursuit-il.
Après trois ans, l'eau-de-vie est versée dans un fût vieux et neutre, de 30 ou 40 ans, qui va digérer l'excès de tanin. Et au bout d'une trentaine d'années, l'armagnac est placé dans des cuves verrées, qui bloquent le processus de vieillissement.
La première gorgée
Dans le salon, quelques alambics miniatures, en cuivre, sont diposés côte à côte, sur une console en bois. Une dizaine de verres ballons attendent sagement sur un plateau. Pierre Laberdolive attrape une bouteille de 1993 et nous verse un fond d'armagnac. « Déguster procure un plaisir gustatif, mais avant tout olfactif. Le verre doit être large en bas pour laisser les arômes s'exprimer et se refermer vers le haut pour qu'ils ne s'échappent pas complètement », conseille Christophe Andiné. Je tourne le liquide ambré dans le récipient pour l'aérer. « Des larmes grasses doivent se former sur la paroi et mettre du temps à tomber ». J'approche mon nez du ballon. Christophe me prévient : « Tu dois éviter de rentrer le nez dans le verre. Tu t'arrêtes au moment où l'alcool commence à brûler le bout de ton nez. Comme pour le vin, il faut aspirer de l'air pour révéler et décupler les arômes. Une fois avalé, un puissant retour en bouche promet un produit de qualité. »
J'avale une gorgée. « On distingue des arômes de coings confits, de bois de chêne, de résine, et une touche vanillée », lance Christophe. Moi je ne distingue rien de tout ça, à part les 46 degrés qui me brûlent le palais et la gorge. « Pour une néophyte, c'est normal », me rassure Christophe.
Fraîcheur d'exception
Deuxième bouteille : 1979. « L'armagnac doit huiler le palais et dégager de la fraîcheur, en fin de dégustation. » La couleur est plus foncée et je devine un léger goût de cannelle. « Bien joué ! Il y a aussi des arômes balsamiques et des nuances d'agrumes, comme l'écorce d'orange. »
Après un 1984 plus sirupeux, aux arômes plus fins, Pierre Laberdolive clôt la dégustation par une bouteille de 1942. Les saveurs précédentes se mélangent et je ne fais déjà plus la différence entre le 1993 et le 1979. Sacrilège ! Mais ma gorge et mon palais s'habituent et l'alcool devient moins agressif. « Plus l'armagnac est vieux, moins on retrouve la force de l'alcool », m'explique Christophe.
Il est bientôt 13 heures, la dégustation se termine. Une sensation de fraîcheur persiste dans ma bouche. La signature d'un or de vie d'exception.