« Morts il y a 10 ou 15 ans »
Ceux qui furent des géants ont encore belle allure. Selon les habitants du quartier, les deux arbres auraient près de 200 ans.
Avec la petite chapelle romane de Douzevielle, construite au XIIe siècle, les châtaigniers sont les plus anciens témoins de l'histoire du hameau.
Roger est né dans ce quartier ouest de Saint-Justin, il y a 72 ans. Il se rappelle encore la verdure de ces arbres. « Ils étaient quatre avant. Ils sont tous morts et deux sont tombés. Ils étaient tellement vieux… » Aucune trace du dernier, mais le tronc du troisième est encore là, gisant au pied des deux colosses. Comme s'il avait compris à l'avance qu'il ne tiendrait pas le choc, le châtaignier est tombé quelques jours seulement avant la tempête de 1999, qui a touché de plein fouet la végétation des Landes.
« Je crois que les arbres sont morts il y a 10 ou 15 ans. Mais c'est arrivé petit à petit », témoigne le riverain. De quoi sont-ils morts ? Il n'est pas vraiment sûr, mais certainement du dépérissement, première cause mortelle des châtaigniers, souvent accéléré par le facteur climatique. Les castanea, de leur nom grec, sont en effet extrêmement sensibles et supportent mal les températures extrêmes. S'ils ont besoin d'un climat doux et ensoleillé l'été, il leur faut de l'humidité à l'automne et pas trop de froid l'hiver. D'autres châtaigniers meurent plus rapidement, quand ils sont atteints des maladies du chancre et de l'encre, deux affections graves et incurables.
L'arbre des pauvres
Aujourd'hui, les deux châtaigniers de Douzevielle sont devenus le terrain de chasse privilégié des petits lézards gris. Par leur allure pour le moins insolite, ils attirent très souvent l'œil curieux et étonné des passants. « Les gens s'arrêtent pour regarder et prendre des photos. Avant, on parlait du Mont Saint-Michel, maintenant ce sont les châtaigniers de Douzevielle qui occupent les conversations des touristes ! », rit Jacques, un villageois.
Morts mais si présents, ils restent au milieu des vivants, comme s'ils se refusaient à partir. Il faut dire que bien peu d'arbres ont lié leur destin à l'homme comme l'ont fait les châtaigniers. Ce n'est pas pour rien que le surnom d'« arbre des pauvres » leur est donné. Au cours des siècles, les castanea ont nourri les populations les plus démunies, la châtaigne leur apportant une nourriture de base extrêmement nutritive en remplacement du pain.
Lié aux vivants, l'arbre à la végétation si rapide et la longévité si grande est aussi symboliquement relié aux morts. À la Toussaint, il est recommandé de déposer des châtaignes sur le rebord des fenêtres. D'après la légende, les esprits reviennent chaque année à l'endroit où ils ont vécu. Un si long trajet leur donnant faim, quoi de mieux que de les nourrir avec les fruits de l'« arbre à pain », si généreux avec eux durant leur existence ?
Si les castanea ont pu prêter main-forte aux morts, à Douzevielle, ce sont les vivants qui prennent soin de leurs défunts châtaigniers. Hors de question de les couper, même si, plantés en plein milieu d'un champ, ils peuvent être un brin encombrants. « Tous les ans, l'agriculteur utilise un hélicoptère pour traiter son champ de maïs. C'est drôle, on voit l'hélico qui fonce sur les deux arbres et qui est obligé de faire une sorte de montagne russe quand les châtaigniers arrivent sur son passage », plaisante un voisin.
Jamais ces deux arbres n'auront été autant regardés que dans leur trépas. Ne dit-on pas qu'il y a une vie après la mort ?