La création de ce fichier est de nouveau annoncée en avril 2010. Dans le rapport de la Cour des comptes d'avril 2010, il est fait mention (page 13) d' "un fichier national des assurés" qui est toujours "en cours de constitution". Le fichier n'est ainsi toujours pas lancé, deux ans après l'annonce d'Eric Woerth.
Les grands régimes de prestations ont déjà livré leurs données
La date de lancement annoncée par le ministre du Travail, de l'Emploi et de la Santé, Xavier Bertrand, "fin 2011", est-elle alors crédible ? Pour Daniel Buchet, responsable Fraude de la CAF, elle l'est. "La conception du répertoire est lancée depuis deux ans et touche à sa fin", explique-t-il au "Nouvel Observateur". "Les grands régimes de prestations, comme la 'maladie', les 'familles', et 'retraites', ont d'ores et déjà peuplé ce répertoire de données".
"D'ici fin 2011, nous n'avons plus qu'à mentionner le chiffrement des prestations perçues par les assurés sociaux, la nature de ces prestations et la période durant laquelle elles sont été délivrées. Le répertoire pourra ainsi couvrir 85-90% de l'ensemble des assurés à cette date. En revanche, les petits régimes contributeurs mettront plus de temps à être inscrits dans le répertoire."
"De grosses difficultés se posent"
Car le répertoire est particulièrement complexe à mettre en place : "C'est un projet très lourd, très conséquent, décrit Daniel Buchet, car il faut agréger l'ensemble des allocataires qui relèvent des cas multiples. Cela comprend les assurés des caisses primaires, des caisses de retraite, d'assurances maladies... S'y ajoutent les autres régimes particuliers comme la caisse de dépôt des cotisations, et les données des collectivités locales".
"De grosses difficultés se posent car chaque information sur un assuré doit pouvoir être comprise et utilisée par les différents régimes qui y ont accès. Il faut aussi et surtout déterminer toutes les possibilités de cumul et de non-cumul des différentes prestations sociales, qui se marchent les unes sur les autres", précise-t-il.
Pas adapté à la chasse aux fraudes
Alors que Xavier Bertrand et Thierry Mariani présentent le futur répertoire comme un véritable outil destiné à la traque des fraudeurs, le responsable Fraude de la CAF nuance : "Si on prend en compte le coût de la mise en place de ce répertoire, celui-ci ne va pas faire gagner ou économiser de l'argent aux caisses en contrôlant les abus".
Daniel Buchet concède que seul "l'avenir nous dira quels sont les objectifs du répertoire". L'"objectif principal n'en est pas la chasse aux fraudeurs, même si cela fait partie du champ d'action de cet outil".
Les associations d'aides aux chômeurs, aux familles et de lutte contre la précarité déplorent d'autant plus l'énergie consacrée à la chasse aux fraudes. "Alors que la plupart des fraudes restent très anecdotiques, l'argent que l'on va dépenser pour faire la chasse à la fraude sera supérieur à ce qu'on va récupérer", déplore Patricia Augustin, responsable du secteur Famille et Prestation sociale à la Confédération syndicale des familles, une confédération nationale d'associations familiales.
Les fraudes les plus coûteuses pas concernées
Selon le rapport du député des Bouches-du-Rhône Dominique Tian sur l'ampleur des fraudes sociales, dont les conclusions ont été publiées le 22 juin, c'est la fraude aux prélèvements sociaux, par des cotisations non versées en raison du travail au noir, qui serait la plus lourde, avec un coût entre 8 et 15,8 milliards d'euros.
La fraude aux prestations (sur les indemnités d'arrêts maladie, les allocations familiales, le RSA, etc), qui elle est traquée par le gouvernement et concernée par le répertoire, contrairement à la première, ne s'élèverait qu'à 2 ou 3 milliards d'euros.
"Marginalisation des personnes en difficultés"
La plupart du temps, ont relevé à la fois Daniel Buchet et Patricia Augustin, plus que des fraudeurs, ce sont des assurés qui ne bénéficient pas de toutes les prestations auxquelles ils ont droit que les contrôles de la CAF révèlent.
Mener une chasse abusive contre la fraude n'a comme résultat qu'une "marginalisation aggravée" des personnes en difficulté sociale, fustige Patricia Augustin : "On les soupçonne et on les stigmatise alors qu'on devrait les aider à les réintégrer dans la société".
"Il y a d'autres moyens de vérifier si les allocataires font de bonnes déclarations, comme à travers les déclarations de revenus, sur lesquelles les prestations sont calculées. La seule façon de frauder, c'est de faire de fausse déclaration", explique Patricia Augustin. Or les contrôles actuels de la CAF permettent déjà de contrôler ces fausses déclarations. "Le répertoire du gouvernement est très intrusif, alors qu'on pourrait s'en passer", conclut-elle.
La part des fraudes intentionnelles est "très minoritaire", confirme Daniel Buchet. Si le répertoire pourra éventuellement servir à améliorer la fluidité des contacts entre les différents régimes, il n'apportera rien de nouveau et de très efficace dans la lutte contre les véritables fraudeurs, qui sont très peu conséquents, contrairement à tout ce qu'a pu affirmer Xavier Bertrand.